COMME UN CHEF

J’ai lu Comme un chef, l’autobiographie culinaire de Benoît Peeters illustrée par Aurélia Aurita et publiée chez Casterman.

C’est un très joli livre, à la mise en page soignée et aux graphismes attachants et performatifs. On connaissait déjà le travail d’Aurélia Aurita, auteure entre autres de Fraise et chocolat et de Buzz-moi, mais sa collaboration avec Benoît Peeters dévoile une nouvelle facette de son talent. Le dessin, au service de la narration, permet au lecteur de visualiser précisément gestes, plats et situations. Il a été décidé d’utiliser la couleur uniquement pour les aliments, un choix judicieux qui replace le produit de centre de l’attention, et fait passer les émotions avec une grande efficacité.

L’ouvrage s’ouvre sur un très beau texte de Pierre Gagnaire qui, dans une préface réflexive, donne le ton de la narration en remettant le parcours de Benoît Peeters en perspective. L’histoire débute ensuite, « Je ne sais pas vraiment comment cela a commencé», et il s’agit alors pour l’auteur de revenir sur les années soixante-dix et quatre-vingts, et de retracer son parcours d’intellectuel gastronome. C’est avec beaucoup de recul et d’humour que Benoît Peeters raconte les différents moments importants qui ont ponctué sa route.

Quelques souvenirs rescapés de la cuisine de son enfance se succèdent : les tartines d’Inge la jeune fille au pair, les classiques quiches lorraines et hachis parmentiers préparés par sa mère, les crêpes des grands-parents en Bretagne, le restaurant chinois où se rendaient ses parents pour un dîner en tête-à-tête.

Benoît Peeters a 18 ans quand il arrive à Paris et si cette installation marque le début des découvertes en tous genres, la gastronomie en fait bien partie. Le lecteur fait alors la connaissance de Jean-Christophe, un ami habitué des tables des grands restaurants : « Je l’entends avec envie évoquer ses repas chez « Denis » ou au « Grand Véfour » ».

La construction de la bande-dessinée est toujours très juste et met en regard deux mondes qui se croisent et se rejoignent parfois, mais restent souvent distants. Une double-page met en regard des petits pois nageant dans une sauce verdâtre et terne au restaurant universitaire et des soufflés jaunes d’or, rutilants, comme doivent l’être les appartements de Jean-Christophe. Quant aux conversations, elles passent très facilement du structuralisme à la carte des grands restaurants, ou du nouveau roman à la nouvelle cuisine. Le jeune homme s’interroge : « entre le Nouveau Roman qui nous passionne et la nouvelle cuisine, prônée par Gault et Millaut, il doit bien avoir des rapports».

C’est aussi l’époque où le jeune Benoît dévore le Gault et Millau, la littérature, la philosophie, où il se nourrit des plats les moins chers du Chinois d’en bas et publie chez Minuit. Et puis il raconte, en détails et avec une grande intensité dramatique, dans quelles circonstances il s’est retrouvé attablé dans le célèbre restaurant des frères Troisgros, à Roanne : les conséquences sont immédiates, « c’est l’éblouissement, presque comme Claudel à Notre-Dame. » Ce jour-là, Benoît Peeters ressent « une première révélation de ce que peut-être la cuisine. » De nombreux autres moments forts ponctuent ce parcours comme le soin apporté à un dîner préparé pour Roland Barthes, son directeur de thèse d’alors.

Le souci permanent des détails, aussi bien en ce qui concerne la narration que le coup de crayon, fait que le lecteur est immergé dans l’ambiance, et toujours très concerné par les plats évoqués.

On rit, aussi, à plusieurs reprises, mais particulièrement lors des aventures de l’auteur dans le rôle du chef à domicile, condamné à servir des poussins farcis au ris de veau, « la négation de tous [s]es principes culinaires », ou congédié parce que le soufflé aux framboises n’est pas prêt au moment où la cloche sonne…

Et puis beaucoup d’émotion traverse ce livre, par exemple lors de l’évocation du restaurant l’Apicius de son ami Willy Slavinski, de sa cuisine absolue et sa maladie, ou encore lors qu’il relate l’expérience incroyable vécue au Vivarois et l’éblouissement permis par la générosité d’un Claude Peyrot clairvoyant et attentionné.

L’aventure se termine par le menu de 50 mets servi à l’occasion du dernier soir d’El Bulli ; les couleurs claquent, les saveurs traversent les pages, et les dessins d’Aurélia Aurita réussissent à provoquer la surprise et à illustrer la rupture. Ébloui et mis en appétit, le lecteur referme ce livre avec la satisfaction d’avoir effectué une jolie promenade gastronomique et d’avoir découvert une facette de Benoît Peeters qu’il ne soupçonnait pas. Acteur incontournable du monde de la BD, il devient acteur célèbre de la scène gourmande, dont il est un grand expert ; habitué des grandes tables, il possède également les connaissances techniques qui lui permettent de briller aussi bien en salle qu’en cuisine.

Comme un chef, Benoît Peeters et Aurélila Aurita, éditions Casterman, 2018
ISBN 2203146753

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