CAPSULE 3 LES MOTS DE PATRICE GELBART

Un texte de Patrice Gelbart, mon invité dans l’épisode 18.

« Je proteste,
Pour ce qu’on a fait de nous
Prenant tout pour de l’eau pure
Qui ne cherchions aventure
Que de la bonté future
Et qu’on a mis à genoux
Je proteste

Qu’on nous trompe, qu’on nous leurre
Nous donnant le mal pour bien
Celui qui n’en savait rien
Et qui le mal pour bien tient
N’est-ce pour le bien qu’il meurt
Je proteste

Au nom des choses meilleures
Prêtes à tout ce qu’on voudrait
A tout sacrifice prêt
Pauvres gens bêtes de trait
Qu’on bafoue et mène ailleurs
Je proteste »
(Louis Aragon, Le Fou d’Elsa, extrait)

Aujourd’hui, c’en est trop.

Trop de ces gouvernements successifs qui nous enchaînent, nous maltraitent, nous empoisonnent, ne nous écoutent plus depuis bien longtemps.

Pesticides, violence policière, mensonges, incompétence face aux crises sanitaires, sociales et financières, redistribution des richesses inacceptable, musellement de la presse, incapacité face à l’urgence climatique, révérences aux lobbyistes et multinationales.

Ni la rue ni les urnes n’ont eu raison d’eux.

Mes jeunes années de cuisinier m’ont fait prendre des chemins fleuris d’insouciance, d’espérance, de beauté, d’humanité. Croyant être libre, j’ai bâti à la sueur de mon travail d’indépendant jours après jours un espoir. Un espoir de sable, balayé par le moindre souffle de vent. Ce vent du capitalisme qui étouffe nos projets idéalistes, nos rêves fraternels, nos coopérations humaines les plus belles.

Soucieux depuis plus de 20 ans du monde qui nous entoure, de la dégradation de notre alimentation, de la perte d’un patrimoine gustatif et d’une biodiversité sacrifiée au nom des grandes distributions et lobbies des semenciers, qui favorisent une culture de la mort : mort de nos sols, mort des semences devenues stériles et par conséquent toxicité de ce que nous trouvons dans nos assiettes, j’ai fait comme beaucoup d’autres le choix de travailler avec des femmes et des hommes respectueux d’un savoir faire originel, gardiens de notre culture alimentaire de qualité à travers les semences de population, le vin vivant, la pêche durable, le bien-être animal et les races locales.

Sans compter mes heures, j’ai rencontré, écouté, défendu ces humains, ces idées et ces valeurs, je me suis levé, relevé quelques fois, j’ai crié NON très souvent en espérant que les choses bougent.

Beaucoup d’entre nous n’ont pas attendu les beaux discours présidentiels, des actions existent déjà, nous devons les exposer, les partager et les développer.

Ces sentiers escarpés, souvent difficiles, m’ont appris à prendre le temps et m’ont offert de multiple rencontres. Cette diversité humaine m’a Nourri, Soigné, Eduqué, Cultivé et Enrichi.

Mon espoir d’un monde nouveau a grandi, de toutes ces forces, ces collaborations, ces échanges, je sais aujourd’hui que nous avons la capacité et les clés pour s’emparer de notre colonne vertébrale politique : l’alimentation, la santé, l’éducation, la culture et l’économie.

Notre force, c’est les autres.

Si nos sociétés humaines ont réussi à avancer dans le temps, c’est par la transmission des savoirs et la coopération entre les hommes.

La productivité et la cupidité des puissances nous ont fait perdre la beauté de ce monde et s’accaparent notre temps : ce temps pour penser nos vies, nos libertés.

« On voit des autoroutes, des hangars, des marchés
De grandes enseignes rouges et des parkings bondés
On voit des paysages qui ne ressemblent à rien
Qui se ressemblent tous et qui n’ont pas de fin
Rendez-nous la lumière, rendez-nous la beauté
Le monde était si beau et nous l’avons gâché
Rendez-nous la lumière, rendez-nous la beauté
Si le monde était beau, nous l’avons gâché
On voit de pleins rayons de bêtes congelées
Leurs peurs prêtes à mâcher par nos dents vermillon
On voit l’écriture blanche des années empilées
Tous les jours c’est dimanche, tous les jours c’est plié »

(Dominique A, Rendez-nous la lumière)

Aujourd’hui, la fragilisation du monde capitaliste nous offre deux possibilités : recommencer en voulant à tout prix sauver l’économie de consommation et le gaspillage à outrance, ou relever ensemble le défi d’une société humaine, solidaire et participative, une société du long terme, durable, pour les générations qui nous succéderont.

L’alimentation, la santé, l’éducation, la culture, l’économie sont des droits fondamentaux, des sujets trop sérieux pour être abandonnés aux mains des politiques et des multinationales.

Seuls dans nos chapelles, nous ne pourrons rien bâtir de nouveau. Le temps étrange que nous traversons nous rappelle à quel point nous sommes interdépendants, à quel point nous avons besoin les uns des autres. Le capitalisme et sa logique de concurrence cloisonnent et divisent, si l’argent va à l’un, il n’ira pas à l’autre mais ce raisonnement étrique nos vies. Nous avons besoin de nous. Nous tous. Nous avons besoin d’échanger, de penser l’avenir les uns avec les autres et de nous occuper nous-mêmes de ces domaines prioritaires du vivre ensemble.

Alors amis de tous horizons, abattons les murs qui nous séparent, unissons-nous et emparons-nous des cinq piliers que sont l’alimentation, la santé, l’éducation, la culture et l’économie qui ne peuvent vivre l’un sans l’autre, pour que fleurisse enfin notre humanité.

« Soyons réalistes, prenons le pouvoir. »
Alliance Slow Food des cuisiniers

Patrice Gelbart, cuisinier
Youpi au théâtre, la cantine Populaire du Théâtre de Gennevilliers

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